Actualités de l'institut d'anthropologie clinique

Bernard Garaut - 25 novembre 2024

Debout sur le vent #21 – Se poser là

Les récits multiples entendus, partagés, générés, l’effet sur mon propre chaos de ce Dit tumultueux d’un autre,
la douloureuse beauté de leur langue singulière et le télescopage quasi permanent de nos imaginaires…

Le trouble éprouvé alors …quels recours !
La littérature, dans toutes ses formes et contenus, l’écriture, et surtout la poésie
le sont devenus.
D’abord sans le savoir.
Jusqu’à ce qu’alors je le décide.
Croiser dans un même élan,
les récits de vie,
les temps d’existence partagé-e-s
la poésie,
et l’élaboration avec tous les modes que m offraient tous ces éléments.
Tenter chaque fois de faire de l’inextricable, de l’incompréhensible, une façon
d’Etre ensemble. Là. Dans l’existence.

« …Humaniser la folie,

Désaliéner les lieux de soins… » claironnait  François Tosquelles !

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… «Se poser là…»

Le vent s’est levé. Fort. C’est
magnifique. Vers dix heures.
D’un coup, tout s’est animé.
J’ai erré longtemps dans les champs en labours, ou
encore du blé, ou du colza, ou de l’herbe, en plein
vent et soleil.
Belle ballade.
Je viens de faire comme tous les matins.
Marcher. Penser. Le corps et l’esprit en
mouvement…
Je crois et pense qu’il s’agit encore de la question
qui m’agite, la scansion, le temps.
Pas d’obligation dans cette mise en rythme de la
journée mais plutôt un besoin.
Avec le sentiment fort de ne pas me tromper dans
son appréhension.
La solitude aide bien.
Dans le même temps elle aide et permet d’être
entièrement là où le besoin, le désir du besoin
conduit.
Hier un nouvel hôte est arrivé. Claudiquant.
Après le repas, sur un banc, nous sommes assis.
Lui, l’hôte d’hier et moi.
Il dit qu’il va à Compostelle. Une halte ici. Il dit une
pause.
Depuis six jours je n’ai pas parlé. A personne.
Me suis nourris de silence.
C’est la première fois depuis lundi que j’engage la
conversation, que je parle plutôt. C’est lui qui
engage la conversation.
Engageant parce qu’il dit.
Il dit dans l’essentiel.
Posément.
Il dit. Il s’adresse. Il donne.
Demande aussi. «Et toi pourquoi t’es ici?»
Jamais vu cet homme. C’est pourtant à lui que je
m’entends parler et répondre.
J…, le silence, la solitude…
Il écoute et entend autant qu’il a parlé et livré de
lui.
Il a dit qu’il était athée. Puis juif.

C’était un bon moment.
Je ne sais pas s’il a repris la route.
Hier c’était hier. Un bon moment avec lui.
Ce qui a eu lieu a eu lieu et sera constituant de ce qui a été.

Maintenant, c’est maintenant.
Il n’y a pas d’«avoir été», il n’y a que du «être»
écrit Richard Ford.

Je retrouve le silence et ma solitude.
Le silence est plein.

Me revient alors, comme soufflé par le vent cette
expression qu’Elle me disait pour me dire son
étonnement:
«Toi, alors tu te poses un peu là!»
(vous vous souvenez?…)
Je sentais dans son regard et étonnement se
renforcer ma détermination.
Cette petite phrase résonnant fort, bien plus
tard, comme une injonction, poétique à se poser là, dans l’existence.

Le «je n’existe pas» est une phrase impossible, écrit
A .Comte Sponville…

Dans une tentative mainte fois répétée, de «ne
jamais se contenter de l’élan acquis, ne jamais se
répéter, tenter d’être soi et l’autre»

Peut être bien est ce Victor Hugo ,me voyant
scruter bien souvent l’horizon, qui vient me susurrer
tout doucement a l’oreille:
/ le nuage accroupi sur la montagne
s’effrite en poussière de gouttes. /

 

B.G.