Jérôme Courduriès - 11 janvier 2013
Ce texte reprend celui de mon audition, le 19 décembre 2012, par Marie-Françoise Clergeau, députée, membre de la commission des affaires sociales et rapportrice pour avis du projet de loi sur l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe. C’est ce qui explique sa forme particulière.
On peut se demander si c’est le rôle d’un anthropologue de s’engager ainsi dans le débat public. La question est légitime et la réponse, simple. Dans la mesure où ses recherches viennent éclairer un débat public, en particulier lorsque des idéologues se réclament d’une analyse pseudo anthropologique, oui, l’anthropologue ne peut pas rester aveugle et sourd.
Les enquêtes sur la conjugalité homosexuelle masculine montrent que pour un certain nombre de couples, au-delà des aspects matériels et des effets de protection juridique du conjoint inhérents au mariage, le mariage est aussi important dans ses aspects rituels. Alors que le législateur avait conçu le Pacte civil de solidarité comme un dispositif distinct du mariage, lui a conféré l’aspect d’un simple contrat, l’a confiné au greffe du tribunal et a voulu en faire un simple acte administratif, un certain nombre de couples d’hommes, parmi ceux que j’ai rencontrés, se sont efforcés de donner à la signature de leur pacs un supplément d’âme. Ils se sont réappropriés quelques petits rituels matrimoniaux et les ont adaptés au dispositif particulier du pacs. Ils ont rédigé et envoyé des faire-part de pacs, ont acheté ou se sont vus offrir par leur famille des alliances, qu’ils ont échangé après le passage au greffe, à l’occasion d’une fête organisée avec les proches pour fêter ce qui devait être pour eux une véritable union. Avec l’accord du greffier, ils ont pu faire rentrer quelques membres de leur famille et de leur entourage dans le bureau. Ils étaient peu nombreux, compte tenu de l’exiguïté du local, mais remplissaient en quelque sorte l’office des témoins, même s’ils n’étaient invités à signer aucun registre.
Comment interpréter ce réinvestissement des rituels matrimoniaux par un certain nombre de couples de même sexe ?
Le projet de loi, dans sa forme actuelle, ne prévoit pas de toucher à la présomption de paternité. Ainsi peut-on y lire, je cite :
Lorsque cela s’avère nécessaire, les mots « père et mère » sont remplacés par le mot « parents » et les mots « mari et femme » par le mot « époux ». Ces substitutions concernent uniquement les articles qui s’appliquent à tous les couples. Dans tous les autres cas, les articles ne sont pas modifiés : tel est le cas dans l’ensemble des dispositions concernant la filiation établie par le seul effet de la loi.
L’article 312 du code civil reste donc intact :
L’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari.
Je m’étonne que le législateur envisage de laisser en l’état cet article relatif à la présomption de paternité. Cela maintiendrait une inégalité certaine entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels mariés.
Je comprends l’argument politique qui conduit à ne pas toucher à l’établissement de la filiation par le seul fait de la loi et, en particulier, à la présomption de paternité dans le cadre du mariage. Il peut s’agir de donner des gages aux plus récalcitrants, voire aux mouvements conservateurs qui veulent sanctuariser le mariage en son état actuel. Mais je ne vois aucun argument de fond pour le justifier.
Nous savons que ces dernières années, et ce n’est pas propre à notre société, il n’a pas été rare que des actions de contestation en paternité soient intentées. Elles s’inscrivent souvent dans des situations de séparation ou de divorce conflictuels. En d’autres termes, la justice est prête, pour des raisons diverses et pour lesquelles elle reste souveraine, à défaire un lien de filiation entre un père et son enfant, parce que des tests montrent qu’ils ne sont reliés par aucun lien biogénétique. La paternité apparaît alors en l’état comme une variable d’ajustement. Ces exemples illustrent le fait que la présomption de paternité par le seul fait du mariage n’est pas inébranlable, cela au nom du fait qu’un lien de filiation devrait mimer le lien biogénétique.
Or il est des situations où le législateur, à l’exact opposé, a prévu que les parents soient d’autres adultes que ceux à l’origine de la conception de l’enfant. C’est le cas dans l’adoption plénière qui fait rentrer un enfant dans la filiation d’un ou plusieurs adultes qui n’ont aucun lien biogénétique avec lui et qui rompt ainsi tout lien légal entre cet enfant et les adultes qui l’ont conçu. C’est aussi le cas lorsqu’un couple (aujourd’hui nécessairement hétérosexuel mais sans condition de mariage ni de durée de vie commune) a recours à l’assistance médicale à la procréation avec don de sperme. Alors, un donneur se substitue à l’homme pour participer à la procréation. Cet homme, à l’origine du projet d’enfant avec sa compagne, doit alors s’engager à ne jamais contester sa paternité. Là encore, la filiation paternelle est établie sur un acte explicite de volonté de la part du père.
Pour finir, selon les statistiques de l’INSEE, en 2011, 792 996 enfants sont nés hors mariage (soit 55 % des naissances). La filiation de la mère est dans ces cas directement établie par la seule mention de son nom dans l’acte de naissance. En des termes profanes, habituellement, la mère est donc la femme qui accouche. Le père doit quant à lui reconnaître son enfant afin de le faire rentrer dans sa filiation, devant un officier d’état civil ou devant un notaire. Il s’agit donc là encore d’un acte explicite et volontaire de la part du père.
En somme, il y a deux solutions et terminerai par la meilleure, à mon sens :
Pour finir, je souhaiterais dire quelques mots à propos de l’accès à l’assistance médicale à la procréation par les couples de femmes.
Là encore, je n’ignore pas les arguments politiques et stratégiques qui ont conduit le gouvernement à ne pas ouvrir, dans son projet de loi, l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes. Sur le fond, cela me semble absurde, pour plusieurs raisons.
Un certain nombre d’esprits chagrins voire de mauvaise foi prétendent que ce serait mentir aux enfants. Mais au contraire ! Il ne vient à l’esprit de personne que l’on pourrait raconter à un enfant qu’il a été conçu par ses deux mamans ou ses deux papas, évidemment. Si la tentation du mensonge existe, elle est, en l’état actuel de la loi, du côté des couples hétérosexuels qui pourraient être tentés de cacher à leur enfant qu’il a été conçu grâce à un don d’engendrement ; après tout, les services d’AMP et les CECOS ne s’efforcent-ils pas de choisir un donneur au phénotype le plus proche possible de celui du parent auquel il se substitue ?
Il y a un degré au-delà duquel la réalité physiologique ne peut-être niée : pour « fabriquer » un enfant, il faut bien que se rencontrent des gamètes féminins et des gamètes masculins. Mais attention, ne confondons pas gamètes féminins et maternité d’une part et gamètes masculins et paternité d’autre part. Si la seule filiation qui vaille devait mimer la relation biogénétique, alors on ne permettrait pas aux couples hétérosexuels d’avoir recours à un don de gamètes, et on supprimerait l’adoption plénière.
On oublie en effet souvent un élément essentiel dans ces débats. Il ne s’agit pas d’autoriser les couples homosexuels à vivre en couple, à faire des enfants et à les élever. Ils n’ont pas attendu que la loi évolue pour cela. Après avoir été trop longtemps ostracisés et contraints à la plus grande invisibilité, de nombreux hommes et de nombreuses femmes se sont autorisés à tomber amoureux de quelqu’un du même sexe, à vivre avec lui ou elle sous le même toit et à fonder une famille. Les couples de femmes ont aujourd’hui accès à des dons de sperme, qu’il s’agisse de recourir à un donneur connu ou à l’assistance d’un service d’AMP en Belgique ou en Espagne. L’enjeu n’est donc pas de les autoriser à user de ce genre de recours. Il consiste en réalité à encadrer ces pratiques, à les permettre en France, et à faire en sorte que ces démarches faites à deux aboutissent à l’inscription des enfants ainsi conçus dans la lignée de leurs deux parents, à donner à ces enfants non seulement des parents, au sens légal du terme, mais aussi des grands-parents, des tantes, des oncles, des cousins, des cousines.
S’il reste bien des progrès à accomplir afin que sautent les derniers verrous qui justifient encore un traitement différencié des personnes homosexuelles, des couples et des familles qu’elles construisent, nos sociétés ont gagné en démocratie et en supplément d’âme. Il s’agit maintenant de reconnaître enfin la diversité des réalités familiales et des modes d’accession à la place de parent. Il ne fait aucun doute aujourd’hui que les parents homosexuels qui élèvent un enfant sont bien ses parents. Ils en assurent toutes les fonctions et sont même à l’origine au sein de leur couple de la conception du désir d’enfant.
Quelques étapes restent encore à franchir. Je ne doute pas qu’elles le seront et que nos représentantes et représentants au Parlement sauront se déprendre des préjugés et des idéologies auxquels nous sommes trop souvent soumis.e.s. Ils agiront, elles agiront ainsi pour le bien de toutes et de tous.