Actualités de l'institut d'anthropologie clinique

Serge Escots - 21 novembre 2014

Posture et imposture de la radicalité.

La radicalité est une étape nécessaire de la construction de la pensée. Son institution en posture est une imposture pour la pensée.

La radicalité permet par la polarisation qu’elle opère, la construction d’un objet qui, par la position nécessaire à sa saisie, en définit des contours suffisamment nets pour toute pensée de celui-ci.

Mais l’objet ne doit son existence qu’à l’horizon des relations qui le déterminent. Il est bien rare que la radicalité de la position qui permet la saisie de l’objet soit pertinente pour l’ensemble de toutes les relations de celui-ci. Une fois remis dans sa complexité native, l’objet ainsi saisi se dissout dans sa métamorphose.

Sa métamorphose implique de nouvelles saisies ou bien la poursuite du processus de pensée à propos de l’objet cesse. Ces nouvelles saisies supposent d’autres positions qui déplacent de fait de la position radicale initiale qui avait fait advenir l’objet à la raison.

Le maintien de cette position radicale devient posture, car il est la manifestation d’une volonté extérieure à la rencontre des phénomènes où cet objet s’est construit.

Dès lors, ce sont les buts du sujet de la connaissance et eux seuls qui soutiennent l’existence de l’objet. La posture est imposture à se prétendre pensée d’un objet lorsque celui-ci n’existe plus que dans le champ de l’idéologie dont il sert la cause.

La poursuite de la construction de la pensée de l’objet suppose de pouvoir rendre compte de ses métamorphoses dans une multiplicité de nouvelles radicalités de positions, nécessaires à la saisie de ses métamorphoses.

Admettre la multiplicité des radicalités nécessaires implique le renoncement à la posture de la radicalité. Ériger la radicalité en posture est une imposture épistémologique, une imposture pour la pensée.

Prenons par exemple la radicalité de la posture de E. O. Wilson pour qui la sociobiologie est une science majeure qui permet de considérer l’histoire, l’anthropologie et la sociologie comme des « branches spécialisées de la biologie […] d’une même espèce de primates » (Wilson, 1987, p. 523). Dans ce cadre épistémologique, il s’agit de construire l’humain comme objet de science dont la biologie devrait ordonner la construction des processus de production de la connaissance. Pour faire exister l’humain comme objet de science, la radicalité de la posture de la sociobiologie interdit de saisir les métamorphoses que les radicalités des sciences humaines opèrent sur lui. Par l’empêchement à saisir l’humain dans sa complexité dimensionnelle, la radicalité de la posture sociobiologique entraine ses disciples sur les chemins de l’imposture scientifique.

L’anthropologie sémiotique, en proposant de culturaliser la cognition, renverse la radicalité du mot d’ordre de naturalisation de la culture ouvert à partir du néodarwinisme et de la sociobiologie. Cette radicalité sémiotique ouvre une polarisation épistémologique où {naturaliser la culture}/{culturaliser la cognition}, crée les conditions d’un projet de connaissance de l’humain complexe :

Hominisation —{permet}–> Humanisation —{transforme}–> Hominisation —{permet}–> Humanisation

Ces questions recoupent la proposition philosophique du « nouveau réalisme » formulée par le philosophe allemand Markus Gabriel dans son livre Pourquoi le monde n’existe pas. On y découvre avec bonheur une proposition claire qui nous permet de sortir de la double aporie que constitue d’une part un constructionnisme radical qui empêche de formuler des énoncés de vérité dans le champ des sciences humaines et le scientisme qui prétend expliquer ce même champ par un physicalisme réducteur. Une ouverture pour dépasser la postmodernité.

Serge Escots

Références :