Loïc Mansuela - 23 octobre 2024
GAP en MECS. Des cas sont exposés. 2 prénoms reviennent, d’une rencontre à l’autre… Profils similaires, 2 jeunes ados, accueillis sur la même structure depuis plusieurs années, et qui sont en panne de vie, en questionnement, en carence de projection… ils traversent une période sensible, difficile, et versent dans une léthargie qui agace leurs éducateurs. Leurs traits dépressifs sont insupportables pour ces derniers, d’autant plus insupportables que ces éducateurs sont animés d’une énergie psychique vivace, projetant leur pulsion de vie, ils sont emplis d’un désir sans cesse renouvelé pour ces ados. L’apparente immobilité de ces jeunes génère donc parfois chez eux de forts sentiments d’impuissance, et d’incompréhension, alors qu’ils sont chargés de leur accompagnement au quotidien, mais aussi sur le long terme.
Laissant-là la question du diagnostic, toujours compliqué au cours de cette période de vie qu’est l’adolescence, et qui n’est pas ce qui nous intéressait de prime abord dans ce cadre, ces situations m’ont inopinément fait penser à ce jeune rappeur, Luv RESVAL, que peu d’entre nous connaissent, et qui me semblait parler de cet état d’être particulier qu’est celui que l’on vit quand la noirceur l’emporte. Me demandant s’il n’avait pas su nous dire quelque chose de ces états d’âme mélancoliques que l’on peut rencontrer au cœur de l’âge adolescent, et qu’il avait l’art de sublimer…
Luv RESVAL : Une dépression chronique sublimée ?
Il y a tout juste 2ans disparaissait ce jeune prodige du rap français. Disparition dans un relatif anonymat, pour ce qui concerne le monde des adultes… mais qui jouissait d’un fulgurant début de notoriété dans celui des plus jeunes.
Pourtant, à tout âge, les oreilles qui se penchent sur son écriture sont happées par la précision de sa plume. Même sans connaissance technique, on perçoit aisément la haute maîtrise de sa métrique, de sa rythmique, et de la densité percussive des assonances et autres allitérations qu’il déploie dans son flow, d’une saisissante fluidité.
Mais si Luv RESVAL nous saisit, c’est aussi par la dimension poétique de son univers, dans lequel sont convoqués moults personnages fantastiques, décors apocalyptiques, ambiances dystopiques… romantiques aussi, comme des scènes de films oniriques, mélangeant les atmosphères de Harry Potter, de Star Wars, de Blade Runner (l’original), l’esprit d’aventure, le moyen-âge, les mangas, l’héroic fantasy…le Swords and Sorcery (épées et sorcellerie) : de fait, le résultat verbal est ciselé, et envoutant…
Chez Luv RESVAL, les codes du rap urbain sont toujours là : le vocabulaire dédié, l’Egotrip, la rue, l’ode à certaines substances… Il rejoint dans nombre de ses morceaux des acolytes du genre, naviguant dans la Trap, pour des moments plus consensuels, davantage « nouvelle école », donc nouvelle tendance, donc nouvelle norme. Mais il donne aussi à l’occasion dans le boom-bap, fait honneur aux classiques, fait des clins d’œil aux anciens, et ce avec Brio, dans des freestyles d’anthologie (voir l’émission internet Grunt n°45). Il y a tout ça chez Luv RESVAL, donc son œuvre est inégale. Mais l’important est, à mon sens, de toute façon ailleurs.
Peut-être est-ce dans sa mélancolie pure, sa profonde tristesse. L’ensemble est extrêmement touchant. Luv RESVAL est très fataliste : le regard embué de larmes qu’il porte sur son monde est très sombre. Méphistophélique, sa mélopée est douce-amère (Méphisto est l’un des alter-égos intérieurs qu’il évoque à de très nombreuses reprises au fil de ses textes). Plus que nostalgique, il parait embrasser et donner corps et voix à un constat tragique : Quand on donne son âme au diable, on trouve son identité, autant qu’on se condamne. Comme s’il était porteur d’une malédiction initiale, originelle, fondamentale, indépassable… : ses démons.
Et comme si, résigné, il avait accepté cette macabre destinée, avait érigé celle-ci en implacable réalité, en substance même de sa raison d’être, bien au-delà, donc, d’un simple personnage artistique qu’il aurait pré-fabriqué, Luv RESVAL illustrait ce que d’aucuns qualifient d’identification ultime au symptôme. Sublimé, le chaos accouche d’une étoile. Sans épuiser la pulsion de mort…
Grave asthmatique depuis son plus jeune âge, Luv RESVAL était malgré tout un fumeur régulier de cannabis, et un consommateur assidu de boissons à base d’opioïdes, comme la Lean, ce mélange de soda et de sirop pour la toux à la codéine. Il confiait à ses proches : « Je ne me vois pas vieillir. Je sais que je vais mourir jeune… »
Peut-être est-ce l’authenticité de cette conviction intime qui donnait à sa présence, dont on sait aujourd’hui qu’elle était extrêmement temporaire, une tonalité aussi charismatique. Il s’est éteint à l’âge de 24ans, d’une grave crise d’asthme, après avoir attrapé froid lors d’une tournée au Canada.
Paroles
Duane* dans la zone
Que le temps passe et tout s’en va (yeah)
Eh, le temps passe et tout s’en va
Découpe de malade, j’enfume la salade et je pense, j’me suis réveillé, t’étais pas là
Demande pas si ça va, sur mon cœur, tu laisses des balafres
Ton visage éclairé par les lampadaires de Paname (wow)
On s’est déchirés pour la vida sans raison valable
Moi, les miens sont vaillants, samuraï, j’ai caché ma lame (hey, yеah, yeah), j’ai caché ma lame
Trafic dans l’école, tas d’pilons dans lеs collages, papillons dans l’estomac
Marche vite ou la faucheuse rapplique, dans la zone
J’m’applique, y a le temps qui passe vite sur la montre, ah shit
Les roses que j’ai ramené sont fanées
Et toutes les promesses s’échappent en l’air comme le vent (comme le vent)
Les doses que j’ai préparées sont calées, des fois, j’me promène où j’te voyais avant
Diamants sur les dents, j’sais même plus pourquoi tu m’attends
Les démons qui viennent pour t’accompagner dans la danse (wow)
Comme ça qu’on avance, comme ça qu’on avancera (yeah)
Fais-le pour le tit-pe qui rêve de partir en cances-va
Captain Patate, sur ma vie, j’ai foncé dans l’tas
On est en face, elle marchait seule, lasse, dans une allée longue
Elle a lâché son gars, est-ce qu’il valait son âme?
Elle a lâché son gars, est-ce qu’il valait son âme?
Chemins sont différents mais nos regards se sont croisés
Elle écoute personne, pourquoi t’essayes de l’apprivoiser?
J’t’ai vu t’apitoyer, j’t’ai vu penser, regarder en l’air, jamais plus danser
On tourne dans les soirées comme des ambulanciers
Elle sent plus l’amphét’, elle veut s’sentir en vie
Sortir en ville, faire des efforts en vain
J’me rappelle que le temps passe et tout s’en va, R-E-S-val, wow (wow)
J’me rappelle que… (j’me rappelle que…)
J’me rappelle que le temps passe et tout s’en va (yeah, yeah)
J’me rappelle que… (j’me rappelle que…)
J’me rappelle que… (j’me rappelle que…)
J’me rappelle que le temps passe et tout s’en va
J’ai bossé chaque soir, faut qu’tu sortes de ma vie (yeah)
J’regarde au loin, j’vois les hordes de navires
Au levé du jour, les soldats seront aux portes de la ville
Faut qu’on m’sauve de la mort ou qu’on m’sauve de la vie
Faut qu’on sorte de la vite, le combat des anges et les forces de la nuit
Le reflet du shinigami** qui s’approche de la vitre
Elle est parfois belle mon époque, je la vis, on est pauvres, cela dit
Y a des clopes, de la tise (yeah), loin des cops, on navigue
Ça consomme de la weed, là j’ai trop d’choses à dire
Dégâts post-traumatiques, rapplique automatiquement
Tout ça m’attriste, c’est la mélo’ d’ma vie
On est perdus sur la route, beaucoup d’chemin on a marché
Mais pourquoi on s’est attachés?
Trahi par tes semblables, trahi par les autres (quoi)
On s’était parlé en classe, j’étais pas présentable
Suivi par les gendarmes, sirop dans les entrailles
Tu parlais à Dieu pour qu’il te libère de tes entraves
Tu parlais à Dieu (Dieu, Dieu, tu parlais à Dieu)
Flag, on arrose les ‘tasses, on s’est promis des choses mais les paroles s’effacent
Les filles autour de moi t’ont rendu paro***, ces ‘tasses
J’écris comme un poète, ces petits carottent mes phases
Mes rimes dessinent ton corps sensuellement
Les flèches du Cupidon visent ton cœur essentiellement
Ma ste-ve, j’suis stylé, dedans le bât’, on a rimé devant
J’sais qu’on a prié, j’sais qu’on va crier
Je sens, j’me fais maquiller, je pète deux joints d’affilés
Je pense trop à la vie et la mort, le sablier demande
Ma lame pourrait scier le vent, les hommes viendront plier le camp
J’avance sous oublier le temps, recompter les billets de banque (wow, wow)
J’me rappelle que… (j’me rappelle que…)
J’me rappelle que le temps passe et tout s’en va (va, va)
J’me rappelle que… (yeah)
J’me rappelle que…
J’me rappelle que le temps passe et tout s’en va (va, va)
Source : Musixmatch
Paroliers : *Duane Laffitte / Leo Lesage
Paroles de Tout s’en va © Pop Korn Music Group
**Shinigami : (死神, littéralement « kami (Dieu) de la mort ») est un terme utilisé au Japon originellement pour désigner les dieux psychopompes, c’est-à-dire les personnifications de la Mort, telles que la Faucheuse des traditions européennes
***Paro : Nom commun 1. (Argot) Personne folle, névrosée. Multiples sens mais généralement paranoïaque.